Aujourd’hui, l’ensemble des communautés scientifique, politique et civile s’accorde pour reconnaitre que les activités humaines ont des incidences significatives et délétères sur le fonctionnement du système Terre. Ils observent un déclin global du système Terre depuis la fin du XVIIIe siècle et une accélération exponentielle des indicateurs de changement depuis 1945 et le début des « Trente Glorieuses ». Nos influences humaines sont d’une telle intensité, qu’elles impactent l’ensemble de l’environnement terrestre. Face à ces modifications majeures, la communauté scientifique qui détermine l’échelle des temps géologiques (l’UISG) définit actuellement un changement d’époque, nous propulsant ainsi de l’Holocène (débutant il y a +-11.0000 ans) vers l’Anthropocène, cette nouvelle période géologique appelée « l’Age de l’Humain ». L’Humanité serait donc devenue une force géologique. L’Homo sapiens, dit aussi « l’homme moderne », n’est pourtant que la dernière espèce vivante représentant le genre Homo, appartenant elle-même à l’ordre des Primates. Les premiers fossiles retrouvés de cette espèce datent d’environ 300.000 ans. Une question surgit alors : Pourquoi l’Homo sapiens aurait-il attendu la fin de ces 300.000 ans pour impacter le système Terre?
L’intervention de Vandana Shiva dans le documentaire contribue à nous donner des pistes de réponse. Elle recentre la réflexion sur la vision occidentale du monde. Dans le sillage de la révolution industrielle, l’humain occidental a progressivement dévolu sa vie au travail et à l’exigence de productivité et de consommation. Puisant frénétiquement dans les ressources de la planète et asservissant d’autres humains pour y parvenir, nous évoluons ainsi dans le monde qui nous entoure avec une vision déformée par les prismes de l’économie, de la science et de l’industrie. L’adjectif Sapiens se teinte alors d’ironie, sachant qu’en latin « Sapiens » signifie « intelligence, sagesse, bon sens, prudence ». Nos déprédations irréversibles des écosystèmes démontrent, comme le rappelle Monica Gagliano, que nous avons presque totalement perdu notre libre arbitre, c’est-à-dire notre capacité à choisir et à penser librement, par nous-mêmes et sans contrainte. Nous manquons de discernement, comme le montre le discours de l’avocat de la défense qui soutient que les progrès technologiques ne poursuivent qu’un seul but : être au service du bien-être de l’humanité. Mais il démontre rapidement dans son discours que sa vision est biaisée et qu’il confond la notion de progrès, au service du bien-être, avec celle de croissance, au service du profit économique d’une minorité. Rabelais, dans Pantagruel au début du XVIe siècle, nous mettait déjà en garde en disant que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». D’après lui, une connaissance qui n’est pas réflexive est par essence inutile, voire dangereuse, car elle ne permet pas à l’homme de progresser en remettant en question ses propres actes. À son insu, il jeta les bases de l’éthique scientifique : ce n’est pas parce qu’on est capable de faire quelque chose, qu’on a forcément le droit de le faire...
Dans la même lignée, Olivier de Schutter fustige l’industrie agro-alimentaire qui, sous couvert de servir l’humanité, provoque l’effondrement de la biodiversité. Or, en tant qu’êtres humains, nous faisons partie de cette biodiversité. Nous y sommes intimement liés. Nous vivons, nous mangeons, nous respirons grâce à nos relations avec les autres espèces animales et végétales. Sans elles, nous disparaitrions. De Schutter introduit ainsi le concept d’interdépendance (concept approfondi dans le Thème 4), mais également celui du danger de la domestication de l’être humain par l’être humain lui-même, grâce aux technosciences. Charlie Chaplin, dans le film Les temps modernes en 1936, nous alertait déjà sur le danger de transformer l’homme en machine. Dans le documentaire Écocide, l’image du robot abeille illustre ce point de vue avec encore plus de force. Mais l’intervention d’Olivier de Schutter soulève aussi une nouvelle question : penser que la science trouvera toutes les solutions ne sert-il pas d’échappatoire, d’excuse confortable à notre système économique ?
Mais elle est où notre boussole ?
Pour continuer cette réflexion, le Dalaï-Lama aborde une réflexion majeure. Il fait remarquer que « personne ne veut de problème, mais que pourtant beaucoup de problèmes viennent de notre propre création ». Il évoque notre myopie qui nous contraint à agir de la manière dont nous agissons. Pour comprendre la réalité des choses, nous sommes invités à retirer nos lunettes technocentrées et à utiliser notre intelligence humaine afin d’élargir nos champs de vision. Avant tout choix, il nous demande de faire plusieurs tours d’observation, afin de percevoir la situation dans sa globalité. Au travers d’une multitude de points de vue, nous pourrions ainsi avoir une vision holistique. Mais il nous prévient aussi que cela exige d’abandonner nos émotions égocentrées et notre étroitesse d’esprit.
Ce ne serait donc pas l’âme humaine qui serait intrinsèquement « mauvaise », mais plutôt notre boussole qui serait affolée par le prisme de notre culture actuelle. Blâmer uniquement l’humanité reviendrait à disculper nos modèles socio-économiques.
Face aux innombrables prises de conscience actuelles, nous ne pouvons que constater que nos dirigeants, et leurs électeurs, souffrent d’acrasie, cette faiblesse de la volonté qui nous pousse à agir à l’encontre du résultat que l’on souhaite pourtant voir advenir. Tous les intervenants du film le mentionnent, notre politique, et de manière générale nos modes d’organisation, de production et de consommation, sont pleinement responsables des menaces actuelles. Ils nous demandent une cohérence entre ce que l’on dit, ce que l’on pense et la manière dont on agit. Pour clarifier : consommer un produit ou un service, c’est cautionner l’ensemble du système qui le produit. Par exemple, il est impossible d’acheter un vêtement en coton à bas prix, sans accepter d’acheter avec lui tous ses impacts : le transport qu’il a nécessité, l’utilisation des ressources énergétique et hydrique nécessaires à sa fabrication, l’exploitation des ouvriers pour permettre un prix bas, l’impact des pesticides et des engrais sur l’environnement et sur la santé des travailleurs, l’exploitation des terres où le coton a poussé, les teintures chimiques utilisées qui détruisent les rivières, etc. Nous restons chacun souverains de nos choix, mais ces choix doivent être conscients et intègres... Consommer, c’est poser un acte politique !
Pour finir, le Dalaï-Lama, Samdhong Rimpoché et Sofia Stril-River nous exhortent à examiner lucidement la situation critique actuelle. L’espèce Homo sapiens est en danger et, à cause d’elle, la stabilité du système Terre également. Les problèmes créés par l’humanité ne pourront pas se résoudre miraculeusement par des forces extérieures ou les seules avancées technologiques. Seule une prise de conscience courageuse de chacune et de chacun nous permettra de faire face aux défis actuels... La responsabilité universelle est invoquée !
• Anthropocène
• Asservissement de l’humain
• Libre arbitre
• Éthique des technologies
• Nature humaine VS Culture humaine
• Politiser les crises environnementales
• Responsabilité individuelle et universelle
DES OUTILS PÉDAGOGIQUES
Citymagine / Empreinte asbl
Ce jeu de plateau coopératif représente une ville qui rencontre différentes problématiques urbaines. Les joueur(e)s seront amené(e)s à avancer ensemble vers une ville nouvelle, plus résiliente. Loin d’une approche culpabilisante ou catastrophiste, ce jeu permet d’entrevoir les changements en favorisant le débat et la réflexion. www.empreintes.be/citymagine
The Story of stuff
Plusieurs courtes capsules vidéos (sous-titrées français) permettent de discuter de l’intégrité de nos choix de consommation. Cet outil nous immerge dans le cycle de vie des produits (story of stuff + story of plastics) ou dans les travers du consumérisme (story of cap and trade). À voir, à analyser et à discuter... www.storyofstuff.org
La vie d’une petite culotte et de celles qui la fabriquent / Stéfanne Prijot
Documentaire qui retrace le parcours d’une petite culotte qui rencontre tous ses protagonistes... www.thestoryofapanty.com/fr/
Le jeu de la bobine / créé collectivement par plusieurs organisations
Version adaptée du « jeu de la ficelle » pour exploiter le documentaire « La Vie d’une Petite Culotte et de Celles qui la Fabriquent ». Il met en exergue les interdépendances du champ de coton au consommateur, en passant par la confection et les multinationales, sans oublier personne. Les changements de paradigme prennent un autre sens... www.cncd.be/le-jeu-de-la-bobine
L’histoire du pêcheur et de l’homme d’affaires
Un conte d’origine brésilienne à lire et à méditer. Il illustre avec humour que l’argent n’est qu’un outil parmi d’autres et que l’essentiel est ailleurs... De multiples version en existent sur internet, dont une racontée par Paolo Coelho.
DES LIVRES POUR VOUS NOURRIR
L’atlas de l’anthropocène / Gemenne et Rankovic
Un ouvrage incontournable pour mieux comprendre les différentes crises actuelles, des changements climatiques à l’érosion de la biodiversité en passant par la surpopulation, l’urbanisation, les pollutions, les catastrophes naturelles, les accidents industriels, les crises sanitaires, les mobilisations sociales, les sommets internationaux...
La fabrique de nos servitudes / Roland Gori
Il nous explique à quel point nous sommes asservis et détaille comment sortir de cette spirale qui réduit en esclavage les individus et les populations au nom de l’efficacité technique, du bonheur apporté par les algorithmes et de la mondialisation marchande...
Propaganda / Edward Bernays
Ce neveu de Freud assume pleinement le constat : « les choix des masses étant déterminants, ceux qui parviendront à les influencer détiendront réellement le pouvoir ». Ce livre expose cyniquement et sans détour les grands principes de la manipulation de masse ou la «fabrique du consentement».
Le syndrome de l’autruche / George Marshall
Pourquoi notre cerveau veut ignorer le changement climatique ? Livre qui aborde les émotions, le cerveau irrationnel et nos valeurs fondamentales, agrémentés de quelques clés essentielles.
RAYON BD
La folle histoire de la mondialisation / Bensidoun et Jean
La mondialisation suscite des débats passionnés: on est «pour» la variété des produits et les petits prix qu’elle permet, on est «contre» les pertes d’emploi et la désindustrialisation, le tout mêlés d’interdépendance et d’environnement... Puisqu’on vit avec la mondialisation, mieux vaut la comprendre avant d’en débattre.
PUBLICATIONS
Rapport du GIEC / GIEC
Régulièrement mis à jour, ce rapport existe également dans une version « résumé pour les décideurs » de 4 pages vulgarisées et illustrées. La version 2022, contenant des constats et des solutions, est aussi instructive qu’accablante.
Rapport de l’IPBES / IPBES
Régulièrement mis à jour, similaire au GIEC dans son fonctionnement, cette plateforme d’expert analyse la biodiversité et les services écosystémiques. Ce rapport existe également dans une version « résumé pour les décideurs » vulgarisées et illustrées. Comme pour celui du GIEC, La version 2022, contenant des constats et des solutions, est aussi instructive qu’accablante.
PASSER À L'ACTION
Changez le système en vous investissant localement dans un réseau de volontaires de type :
‣ Réseau d’échange de savoirs
‣ Réseau en transition
‣ Repair’café
‣ Groupement d’achats
En fonction de vos centres d’intérêt et de votre degré d’investissement, de très nombreuses organisations recherchent des volontaires, des militants et des activistes. Sur ce thème, nous pouvons au moins citer :
‣ Greenpeace
‣ Oxfam
‣ Quinoa
‣ Rencontres des continents
‣ Transparency International